Bonjour tout le monde,
Premier sujet ici, j’espère ne pas faire de bêtise/me gourer de section.
En gros, avec des collègues, nous nous interrogeons sur la propriété des données de la recherche, et notamment en terme de données produites/relevées par des étudiant·es.
Pour préciser, je parle surtout ici de données produites en psychologie, donc :
- entretiens et leurs retranscriptions ;
- questionnaires (parfois déjà existants, parfois créés de toute pièce en collaboration avec des enseignant·es-chercheur·euses (EC)) et réponses aux questionnaires ;
- observation directe et/ou avec support enregistré ;
- passations de tests (généralement cliniques), type Rorschach, TAT, tests neurocognitifs ;
- passations expérimentales et mesures associées (performances à des tâches, mesures physiologiques, etc).
Concrètement, si ces données sont produites par des étudiant·es dans le cadre de leurs études en collaborations avec des EC (e.g., mémoire de recherche), à qui appartiennent ces données ? Quelles sont les obligations des EC en termes de droit d’auteur et crédit des étudiant·es (ici, de Licence, mais tous niveaux m’intéressent), par exemple dans le cadre de publications ?
Je précise de suite que mon intention n’est pas de trouver un argument légal pour éjecter des étudiant·es des données ainsi obtenues ; au contraire, j’aimerais pouvoir rédiger, sources à l’appui, un petit vade-mecum sur la question pour renforcer leurs droits, suite à un certain nombre d’abus de la part de collègues EC, abus pouvant s’apparenter à du vol de données sans crédit (du moins, dans ma conception naïve et profane).
Je suis bien entendu intéressé par les réponses réglementaires et légales, mais si des textes de cadrages éthiques existent, je suis également preneur, puisque mon objectif reste d’apporter du cadre à des pratiques en roues libres.
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Bonjour @Jeune_Aine et merci pour cette question très intéressante ! Je ne répondrai pas sur les cadres éthiques de la recherche en psychologie ou des façons de citer / créditer les étudiant.es, mais sur les droits de propriété intellectuelle. Avertissement : j’ai beaucoup bossé ces sujets mais je ne suis pas juriste.
Par défaut, les étudiants ou stagiaires ne cèdent pas leurs droits de PI au labo… puisqu’il n’est pas leur employeur (il faut réunir trois conditions : activité salariale, paiement de salaire, lien de subordination). Il convient donc de déterminer quels droits de PI s’appliquent. On verra dans un second temps comment faire pour ne pas les enfreindre.
En reprenant votre terminologie :
- entretiens et leurs retranscriptions : c’est l’enquêteur qui possède un droit d’auteur sur l’entretien réalisé (décision « Lefeuvre c/ Consorts Delouvrier » du TGI Paris, 3 mars 2005) et la transcription ne crée pas de nouveaux droits (décision du Tribunal de grande instance de Paris, 3e ch. 4e sect., 27 mars 2014, Librairie Droz c/ Classiques Garnier et a.).
- questionnaires (parfois déjà existants, parfois créés de toute pièce en collaboration avec des enseignant·es-chercheur·euses (EC)) et réponses aux questionnaires : les questions sont sans doute trop brèves pour être couvertes par le droit d’auteur, par contre le préambule ou les textes explicatifs peuvent l’être
- observation directe et/ou avec support enregistré : l’enregistrement d’une expérience ou d’un test relève en principe d’un contenu scientifique brut sans parti pris et sans empreinte de la personnalité de l’auteur, lequel n’est pas soumis au droit d’auteur (la Cada a rendu un avis selon lequel des vidéos montrant des sessions de tests comportementaux sur des souris relèvent du droit d’auteur mais ce cas d’espèce ne doit pas être généralisé à mon avis)
- passations de tests (généralement cliniques), type Rorschach, TAT, tests neurocognitifs : le fait d’avoir travaillé à produire des données ne suffit pas à créer des droits de PI, il faut s’en tenir à la forme des données produites. Si les données des tests sont sous forme tabulaire alors 1/ chaque valeur individuellement n’est pas protégée par le droit d’auteur, mais 2/ la structure de la base de données (c’est-à-dire la façon d’organiser les colonnes et les lignes) peut l’être si elle est suffisamment original. A noter que le droit sui generis des bases de données (qui protège contre l’extraction et/ou la réutilisation de l’ensemble ou d’une partie substantielle de la base) revient au producteur de la base, entendu comme l’entité qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, en l’occurrence l’université ou l’organisme de recherche… mais pas à l’étudiant.e.
- passations expérimentales et mesures associées (performances à des tâches, mesures physiologiques, etc) : même réponse
Dans tous les cas où l’étudiant.e est titulaire de droits de propriété intellectuelle, je conseille de lui demander de placer son travail sous licence libre afin qu’ils puisse être réutilisé dans une démarche de science ouverte. A défaut, toute reproduction ou diffusion sera interdite.
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Bonjour @antoineb !
Un grand merci pour ta réponse, qui me permet déjà d’avoir une bonne idée de la latitude dans laquelle on navigue… et je ne cache pas qu’elle est bien plus large que je le pensais !
Si je suis bien l’idée, hormis les quelques rares éléments ouvrant droit à la PI (entretiens, textes explicatifs, tableaux de données très originaux), il n’y a pas grand chose de protégé en termes de données brutes.
Du coup, si je comprends bien, légalement, on ne peut bloquer un·e EC qui souhaite récupérer à son unique compte les données d’étudiant·es (y compris doctorant·es ?) sans crédit aucun ? Ça me semble… raide, aussi j’espère passer à côté de quelque chose .
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Salut @Jeune_Aine,
Sur les points que tu suggères (et venant de la psycho (cog) aussi), pour éviter le « vol » sans crédits, je suggérerai d’utiliser différentes méthodes de science ouverte permettant de « laisser des traces » d’autorat, mais je pense que tu les connais déjà. Je pense notamment au pré-enregistrement de l’étude. Ca ne mange pas de pain, ne suppose pas d’engagement dans une publication ultérieure, mais permet de laisser une trace…
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(suite désolé) là je pensais plus au niveau licence, mais niveau doctorat tu peux essayer d’exploiter les initiatives qui permettent une déclaration précoce de l’étude/papier, comme les registered reports: en psycho par exemple, PCI RR a des « partenariats » avec des journaux de psycho assez connus donc c’est vraiment une option à explorer.
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Yes, je vois effectivement bien ces options, mais on arrive à un nœud du problème (que j’avais pas exposé initialement, parce que je pense pas que ça parlera forcément aux non-spécialistes) : ça concerne surtout des collègues de psycha, dans des enseignements de psycha.
Autant te dire qu’on est déjà à danser autour du feu de joie de les voir passer à des stats simples, alors les nouvelles pratiques de recherche on en est loin, quoi :p.
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ah oui oui… je vois bien et je compatis (sans avoir vraiment de solution ^^)
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Si je suis bien l’idée, hormis les quelques rares éléments ouvrant droit à la PI (entretiens, textes explicatifs, tableaux de données très originaux), il n’y a pas grand chose de protégé en termes de données brutes.
Du coup, si je comprends bien, légalement, on ne peut bloquer un·e EC qui souhaite récupérer à son unique compte les données d’étudiant·es (y compris doctorant·es ?) sans crédit aucun ? Ça me semble… raide, aussi j’espère passer à côté de quelque chose .
On touche aux limites du droit en matière de recherche. Car la déontologie et l’éthique façonnent autant voire plus les pratiques des communautés. En l’occurrence, un jeu de données publié aura des « auteurs » qui ne le sont pas au sens du droit d’auteur mais au sens de l’autorat scientifique (voir David Pontille). Et ces auteurs seront cités quand le jeu de données sera réutilisé, non pas parce que le droit moral le demande (il n’y a pas de droit moral sans droit d’auteur) mais parce que c’est la pratique normale de citation et d’attribution.
Dit autrement, les communautés (étudiant.es inclues) attendent plus que le simple respect de la loi (= être reconnu comme auteur, être cité…) mais ces attentes ne peuvent venir entraver l’avancée de la recherche si ce n’est pas justifié en droit (= je ne peux pas interdire la réutilisation de données sur lesquelles je n’ai pas de droit de PI).
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Oui, je comprends bien. Ce qui poste problème quand l’éthique n’est pas respectée… Mais au moins j’y vois plus clair sur les aspects réglementaires. Un grand merci